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OSP aime les artistes #03 : Maximilien Pellet

  • Photo du rédacteur: Camille Viéville
    Camille Viéville
  • 17 févr. 2020
  • 5 min de lecture

Par Camille Viéville



Maximilien Pellet, diplômé de l’École nationale supérieure des Arts décoratifs, développe depuis plusieurs années un travail d’envergure sur l’histoire des représentations et la notion de décor. Soucieux d’invention, il crée des tableaux à l’enduit ou en céramique dans lesquels il revisite des thèmes traditionnels – le corps, la face, l’animal, les formes géométriques simples. Il s'approprie les styles du passé, il les mâche, les brasse, les restitue, guidé par une intuition des liens subtils entre formes, époque et culture de masse. Sous un vernis ornemental très trompeur, l’artiste joue également avec les effets de matière pris aux métiers du bâtiment, un registre mi-artisanal mi-industriel composé de carreaux de mosaïque, de crépis ou encore de grillage.

Ces procédés formels accompagnent une réflexion sur les mythes de l’Histoire et sur les ressorts de leur narration, à l’exemple du légendaire « roi des animaux » dans Le lion près de la rivière (2018), ou des fables nées de l’inévitable subjectivité des auteurs de reconstitutions archéologiques (Une salle du palais, 2017).

Parallèlement, Pellet grave et dessine. Sur papier, le geste de l’artiste est plus libre, moins consciemment construit. Avec la fluidité de l’aquarelle ou de l’encre, il explore un registre de formes sensiblement différent, né d’un autre mythe, celui de l’enfance de l’art, et laisse deviner une méditation sur les bonshommes enfantins, l’historicité de l’art brut ou la prétendue primitivité des arts anciens d’Afrique ou d’Océanie.



Camille Viéville : Tu produis depuis plusieurs années un travail que tu qualifies toi-même de pictural et dans lequel tu mêles des éléments comme la céramique et l’enduit, la fresque et le bas-relief, l’illustration et le monumental, etc.


Maximilien Pellet : Oui, j’appelle ça des peintures : même quand je tends vers le mural, ces œuvres sont montées sur châssis, y compris celles dotées de roulettes. Et elles soulèvent des questions picturales. J’aime l’enduit et la céramique qui figent les formes et créent une sorte de distance au sein de laquelle je suis plus à l’aise. Ces techniques me plaisent et me rassurent : elles posent les formes en tant que motifs « presque décoratifs ». Je travaille ainsi la couleur teinte par teinte, dans la masse. C’est lié à la sérigraphie – ma formation initiale – qui isole les formes colorées.

Par ailleurs, j’ai un goût pour la collection : j’accumule les effets que je découvre, que je redécouvre, que j’emprunte, pour les assembler en une grammaire qui sert mes recherches formelles. Cette grammaire est basée sur l’appropriation et la digestion de ces effets – c’est-à-dire des motifs, des registres liés à des styles très identifiés. Comment l’Histoire fait d’une forme un style ? Comment ce style devient-il représentatif d’une époque ? Comment s’écrit l’histoire officielle de l’art ? Comment un style devient un archétype ? Comment la culture absorbe une trouvaille ? Au fond, ce sont des préoccupations pop ! Mais avant tout, c’est un jeu : le plaisir de l’emprunt, la tentative de faire quelque chose de nouveau, se rapprocher de l’idée d’un style qui n’existe pas encore.



C.V. : Tu t’inspires directement des illustrations d’encyclopédies pour enfants édités depuis les années 1950 environ.


M.P. : Oui, je collectionne ce type d’encyclopédies depuis cinq ou six ans. J’aime le traitement uniforme de l’histoire de l’humanité dans ces images au style neutre et réaliste, peintes à la gouache. Et puis ces illustrations portent souvent l’héritage de tel courant artistique, de tel artiste influent : on trouve par exemple du post-Lurçat, ou du Matisse complètement assimilé, dans les années 1960. Une histoire de l’art digérée, au service du récit de cette histoire de l’art elle-même, dans la mesure où ces livres évoquent beaucoup l’histoire des civilisations. C’est drôle d’assister à cette mise en scène qui utilise des styles dépassés au regard de l’avant-garde mais encore à la mode au moment de la parution des ouvrages.



C.V. : J’imagine que tu regardes aussi l’art du passé.


M.P. : Beaucoup dans les catalogues ! J’ai un vrai appétit pour l’art reproduit, le changement d’échelle d’un tableau ou de couleur. Je préfère souvent un beau catalogue raisonné à une exposition collective. La reproduction ne me dérange pas. C’est un truc enfantin, aussi : les reproductions d’œuvres qu’on voit petit et qui nous marquent pour le reste de notre vie. Je me suis aperçu récemment qu’il y avait un soleil de Jean Lurçat chez moi, quand j’avais entre 2 et 6 ans. Je n’avais jamais fait le lien mais je pense que ça a beaucoup joué.



C.V. : Quelle est la place dans tout cela de la gravure et des monotypes ? J’ai le sentiment que tu t’y permets une liberté plus grande.


M.P. : J’ai repris la gravure il y a un an et demi environ, à la Villa Belleville [établissement culturel de la Ville de Paris accueillant notamment des résidences d'artistes et des ateliers ainsi que de nombreuses activités à destination des habitants du quartier]. J’ai d’abord vu ça comme un outil supplémentaire. Puis je me suis rendu compte qu’il y avait dans ma façon d’intervenir sur la plaque quelque chose de beaucoup plus intuitif que dans la construction de mes tableaux (où l’aller-retour entre le carnet de croquis et le grand format est plus structuré). La rapidité d’exécution fait ressortir de manière plus naturelle les motifs que je travaille depuis longtemps en peinture, elle fait aussi rejaillir des personnages de mon adolescence, voire de mon enfance, qui fusionnent avec des trouvailles empruntées à certaines avant-gardes.

En recommençant à graver à l’eau-forte ou à la pointe-sèche, je n’ai pas longtemps résisté à l’envie de peindre dans l’encre sur la plaque et j’en suis venu au monotype. Je voulais rajouter ces gestes au moment où l’encre est physiquement sur la plaque. Dans ce cas-là, la plaque gravée devient une matrice à motifs. Il y a aussi l’idée de la superposition temporelle sur une même surface, qui fait écho à l’histoire de l’art et à la juxtaposition sur une paroi de plusieurs décors successifs.



C.V. : Le dessin – au sens large du terme – s’est vu attribuer ces derniers mois un rôle nouveau dans ton œuvre.


M.P. : Je suis revenu à l’aquarelle, en 2018, à la suite de la gravure et du monotype. Le monotype m’a décomplexé face au dessin. Autrefois, je dessinais beaucoup. Mais quand j'ai entrepris de peindre, le dessin est devenu exclusivement préparatoire. Or j'assume en tant que telles les aquarelles réalisées l’an dernier. Matthieu Becker, des éditions LeMégot, en a vu quelques-unes et m’a proposé de faire un livre, Spectres. L’utilisation du pinceau qu’impose l’aquarelle m’a conduit à faire de chaque tracé, de chaque coup de pinceau une composante des créatures réunies dans cette encyclopédie de personnages. Ces aquarelles sont constituées d’un répertoire formel décliné de l’une à l’autre, au fil des pages, créant ainsi une collection de spectres. C’était un prétexte pour expérimenter.



C.V. : Pour finir, aurais-tu l’œuvre d’un graveur ou d’un dessinateur à recommander à OSP ?


M.P. : En gravure, Paul Diemunsch [graveur imprimeur né en 1989 ] ! Pour sa volonté de s’inscrire dans la tradition de l’eau-forte et du dessin « académique » que je trouve en réalité très « moderne ». En dessin, Roger Toulouse (1918-1994), un artiste orléanais que j'admire et dont le travail reste assez confidentiel. Il a une production conséquente d'œuvres sur papier, notamment dans les années 1970-1980 des collages et des encres qui posent les bases de sa peinture. Son univers est singulier, avec des directions formelles qui me semblent inédites, presque d'une autre modernité... Je lui rends un hommage dans mon exposition Les Géants qui se tient actuellement au Poctb à Orléans [jusqu’au 10 février 2019].


Propos recueillis le 4 janvier 2019 à Paris.


Merci à Matthieu Cossé


Maximilien Pellet est né en 1991.

Il vit et travaille à Paris.


(En ouverture : Sans titre, 2018, aquarelle sur papier, 38 x 28 cm, collection particulière)


Pour citer cet article :

Camille Viéville, « OSP aime les artistes #03 : Maximilien Pellet », camille-vieville.com, mis en ligne le 16 janvier 2019, consulté le [date de consultation]



 
 
 

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