Par Camille Viéville
Diplômé de l’École régionale des Beaux-Arts d’Amiens et de l’École nationale supérieure des Arts-Décoratifs – section Arts Graphiques –, Jacques Leclercq-K. se consacre depuis les années 1970 à une œuvre aux multiples expressions, construite autour d’un motif central : le paysage. Par le biais du land art, de la peinture, de la vidéo, du dessin et de l’estampe, il ne cesse de s’intéresser aux liens du paysage (qu’il soit imaginaire, urbain, marin, agraire ou encore archéologique) avec l’œuvre d’art et la figure de l’artiste. Ainsi, il se définit lui-même comme un artiste-cultivateur, pour qui le trait – sur la feuille de papier ou dans la plaque de cuivre – et le sillon ont la même puissance fertilisatrice. Avec des mots similaires, Raoul Ubac, un des grands graveurs de la seconde moitié du XXe siècle, aimait à dire : « [...] je suis profondément déterminé par la gravure, par les œuvres graphiques. Et un champ n’est autre qu’une immense surface entaillée. C’est un peu aussi une prise de possession de la terre : ces lignes qui finissent par créer une surface. » (cité dans Charles Juliet, Entretien avec Raoul Ubac, Paris, L’Échoppe, 1994, p. 37)
Camille Viéville : Tu utilises une multitude de moyens d’expression – l’installation, la peinture, la sculpture, la vidéo, les arts graphiques. Tous sont mis au service d’une réflexion sur la nature et plus particulièrement, me semble-t-il, sur le paysage.
Jacques Leclercq-K. : Oui je préfère le terme de « paysage » à celui de « nature ». J’aime le paysage construit par l’homme, j’aime les interventions humaines dans la nature.
Je suis habité depuis tout petit par le paysage. Les paysages de mon enfance remontent à la surface ; le souvenir de rivières par exemple a donné naissance à La Rivière de lin (1997). Dans un paysage, ça m’arrive très souvent de prendre des notes qui ne seront utilisées que plus tard : ainsi, les paysages d’Égypte, découverts lors d’un voyage, m’ont inspiré les Grandes Égyptiennes (baie de l’Authie) (1992) bien après. Parfois, ça met dix ans à ressurgir.
Toutefois je ne fais pas de différence entre mes projets de land art, le dessin ou la gravure. Pour moi, c’est pratiquement équivalent parce qu'une plaque de cuivre, c’est déjà un paysage. Quand je suis devant la plaque, je suis devant un paysage, je suis devant l’espace du XVIe siècle, comme le dit très bien Jean-Pierre Pincemin [(1944-2005), peintre et graveur]. Je suis devant une petite plaque mais pour moi c’est quelque chose qui peut se développer ; cela peut par exemple devenir un dessin monumental qui me propulse dans l'espace hors limite contemporain. En fait, la plaque, c’est un paysage mental.
CV : Chaque médium te permet d’explorer ces questions sous un angle différent. Monumental dans le cadre du land art et des installations, coloré dans le cadre de la peinture. Peux-tu me dire ce qu’implique pour toi le choix des arts graphiques – estampe et dessin ?
JLK : C’est avant tout une question d’investissement et d’énergie. Quand je suis devant ma plaque, je peux rêver, je peux représenter des rêves qui sont issus de l’observation du réel. L’investissement financier et l’énergie que nécessitent les projets de land art, c’est colossal. Il faut remuer ciel et terre [rires].
CV : Tu as été formé aux arts graphiques à l’École des arts décoratifs, c’est ton monde.
JLK : C’est vrai que dans toutes mes pratiques – même quand je fais de la peinture –, le dessin domine. Ce qui m’intéresse beaucoup, c’est le dessin lui-même, mais aussi le papier. Ne pas oublier que le papier vient d’une fibre végétale. J’aime la caresse du pinceau ou le trait de crayon sur le papier, sur le papier tendu. J’aime tendre la feuille de papier parce qu’il y a le rebond du crayon, le bruit aussi, comme un tambour. C’est la sensualité du papier. Les peintres diront que la toile est elle aussi sensuelle. Mais j’aime mieux glisser sur le papier.
CV : Dans le domaine de l’estampe, tu travailles différentes techniques : la pointe-sèche, l’eau-forte, l’aquatinte, la linogravure et la xylogravure, la gravure sur plexiglas. Quand et comment as-tu commencé à graver ?
JLK : J’ai commencé à graver au cours de mes études aux Beaux-Arts d’Amiens puis j’ai abandonné pendant longtemps, tout en sachant très bien que j’y reviendrais. Je suis obsédé par le trait ; pour moi, la gravure est idéale. C’est mon côté jardinier, aussi : tracer un sillon, semer une rangée de carottes. On creuse et le sillon se remplit d’encre.
J’ai accumulé tout ce que je pouvais apprendre sur le dessin puis je l’ai transposé en gravure. Le déclencheur a été un atelier de gravure à Amiens, au Centre Léo Lagrange ; j’y ai beaucoup appris, grâce à Éric Helluin [professeur de gravure et de sérigraphie à l’École supérieure d’art et de design de Rouen] qui m’a fait redécouvrir la gravure. J’y ai fait des pas de géant, « giant steps », comme dirait John Coltrane... Un continent s’est ouvert à moi. J’avais le continent « dessin » mais le continent « gravure », c’est autre chose, c’est une pleine mer, c’est extrêmement riche. À cet égard, c’est dommage que la gravure soit considérée comme un art « mineur » parce que ses possibilités sont infinies. On peut pratiquement tout faire avec la gravure, c’est de l’alchimie.
CV : Depuis quand as-tu ta presse ?
JLK : Je l’ai depuis 5 ou 6 ans.
CV : Raconte-moi ton expérience au Centre d’art graphique de la Métairie Bruyère, haut lieu des métiers de l’imprimerie en Bourgogne, où tu as séjourné récemment.
JLK : C’était un séjour de 6 semaines, une révélation. Au Centre, il y a la presse de Joan Miró, une presse énorme, j’étais à la fois très intimidé, mais aussi euphorique ; je jubilais. J’ai découvert des possibilités techniques, notamment celles de l’aquatinte, avec Christian Mameron, une personne exceptionnelle. Il est chef d’atelier. Il m’a montré comment obtenir des noirs profonds, l'importance des encres et de la qualité des papiers.
On ne peut pas théoriser sur la gravure. Il faut se salir les mains. Il faut sentir les choses. Toutefois cette passion a été tempérée par des échecs, des essais, des ratages [rires], mais Christian Mameron me disait : « C’est rien, je vais te montrer, on peut y arriver. » Et il ajoutait : « J’apprends toujours, j’apprends toujours avec les artistes. »
CV : Pour finir, aurais-tu l’œuvre d’un graveur ou d’un dessinateur à recommander ?
JLK : J’aime beaucoup Pablo Picasso – qui n’a peur de rien –, Pierre Alechinsky et Jean-Pierre Pincemin, l’iconoclaste, pour sa sauvagerie. Chez les Anciens, il y a Albrecht Dürer, Jacques Callot, Rembrandt, Francisco de Goya et, à la fin du XIXesiècle, Félix Vallotton, bien sûr...
Propos recueillis à Croixrault, le 20 juin 2018.
Pour en savoir plus :
Pour citer cet article :
Camille Viéville, « OSP aime les artistes #01 : Jacques Leclercq-K », camille-vieville.com, mis en ligne le 2 juillet 2018, consulté le [date de consultation]
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