Entretien avec N. Larose et I. Fleury, collectionneurs
Par Camille Viéville
Noria Larose et Isham Fleury sont des passionnés. Depuis une vingtaine d’années, ils arpentent les ateliers et les galeries, gourmands de découvertes. Ils m’ont ouvert les portes de leur appartement chaleureux et vivant non loin de la place de la République, pour un entretien consacré à leur engagement quotidien en faveur de l’art actuel.
Camille Viéville : Pourquoi collectionnez-vous ?
Noria Larose : À l’origine, collectionner n’était pas une évidence pour moi et c’est en commençant à acheter des œuvres avec Isham que j’ai découvert le plaisir de vivre avec.
Isham Fleury : Dans l’ouvrage d’Anne Martin-Fugier [Collectionneurs : entretiens, Arles, Actes Sud, 2012], on trouve cette définition : est collectionneur celui qui achète plus d’œuvres qu’il ne peut en accrocher sur ses murs. Je trouve ça assez juste. Nous avons acheté les premières sans penser à réunir une collection. Puis, un jour, il y en a eu davantage que ce que notre appartement pouvait accueillir. Ça été le point de bascule !
N.L. : Il faut dire qu’il y a une dimension relationnelle très forte dans notre manière de collectionner. Ce qui nous intéresse, c’est la rencontre avec l’œuvre et avec l’artiste.
I.F. : Nos achats relèvent de coups de cœur. Il n’y a aucune perspective spéculative dans notre approche. Nous ne rêvons pas non plus d’accumuler.
C.V. : Comment collectionnez-vous ?
N.L. : Ça commence toujours par une émotion, un choc visuel. Et il faut que cette émotion soit partagée, entre Isham et moi, car nous achetons à deux.
I.F. : Le fait de collectionner à deux est par ailleurs très enrichissant. Cela évite d’être trop impulsif dans nos choix.
N.L. : Nous avons parfois une vision différente des œuvres mais cette altérité est importante.
I.F. : D’un point de vue concret, nous visitons régulièrement les galeries et les expositions. Nous essayons de voir le maximum de pièces pour alimenter notre regard, y compris d’artistes qui a priori ne nous intéressent pas, afin d’affiner notre goût.
C.V. : Quel a été votre premier achat ?
N.L. : Lors d’un voyage au Cameroun, nous avons découvert dans une galerie le travail de Goddy Leye [(1965-2011)]. C’était une grande décision, ce premier achat, pour moi qui étais encore étudiante. Mais nous aimions tellement cette œuvre que nous nous sommes vite lancés.
I.F. : Et dix ans plus tard, nous avons retrouvé Goddy Leye dans l’exposition au Centre Pompidou, Africa Remix [2005, commissariat de Simon Njami]. C’était enthousiasmant !
C.V. : Quelle est la place du dessin dans votre collection ?
N.L. : La question de la technique m’intéresse toujours, peut-être parce que j’ai moi-même pratiqué un peu le dessin, la peinture et la photographie. J’aime comprendre comment une œuvre est faite et interroger les plasticiens à ce sujet. Face à un dessin, on ressent plus fortement la présence de l’artiste. Je suis également touchée par les qualités sensuelles du papier. Toutefois, ce n’est pas ça qui guide directement nos choix.
I.F. : Ce que j’aime dans le dessin, c’est la liberté et souvent l’économie de moyen qu’il implique.
C.V. : Votre collection réunit des noms aussi différents que Amélie Bertrand, Philippe Cognée, Matthieu Cossé, Marc Desgrandchamps, Stéphane Lecomte, Dora Maar ou Matthieu Mercier. Y a-t-il un fil rouge dans votre collection ?
N.L. : Je croyais que notre collection était entièrement le fruit du hasard. Mais l’an dernier, nous avons été invités par l’artiste Éric Fonteneau [né en 1954] à exposer une partie de la collection. Nous avons dû faire des choix et trouver un angle. Isham a eu l’idée du titre, « Ça ne manque pas de piquant » : le piquant de la couleur, le piquant de la douleur – on aime être dérangés par une œuvre – et le piquant de l’humour, voire de l’humour politique. C’est peut-être ça, notre fil rouge, même si tout reste très ouvert.
C.V. : Noria, au sein de ton entreprise, Nell & Associés, tu agis également en faveur de l’art contemporain.
N.L. : Oui, l’idée est de sensibiliser mes collaborateurs et mes clients à l’art. Nous avons par exemple organisé une résidence d’artistes dans des locaux vides de l’entreprise : Léna Hilton et Matthieu Cossé y ont travaillé pendant neuf mois. Une exposition des œuvres qu’ils avaient produites a ensuite été montée.
C.V. : Pour finir auriez-vous un dessinateur ou un graveur à recommander à OSP ?
I.F. : Léna Hilton [née en 1984], justement, qui a un beau travail.
N.L. : Je pense à Mirka Lugosi, que j’aime beaucoup et qui une artiste très intéressante.
Propos recueillis à Paris le 17 mars 2019.
Pour citer cet article :
Camille Viéville, « Entretien avec N. Larose et I. Fleury, collectionneurs », camille-vieville.com, mis en ligne le 1er octobre 2019, consulté le [date de consultation]
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