Entretien avec B. Soyer et S. Toulouse, fondatrices de The Drawer
Par Camille Viéville
En cette fin de mois de mars, alors que la Semaine du Dessin débute à Paris, paraît le 16e numéro de la revue semestrielle The Drawer, fondée par deux passionnées, Barbara Soyer, journaliste et éditrice, et Sophie Toulouse, directrice artistique et enseignante à l’Atelier de Sèvres. L’occasion de les rencontrer, pour un entretien à deux voix.
Camille Viéville : Quand a été créé The Drawer et avec quelle ambition ?
Barbara Soyer : En 2011, Sophie m’a proposé un projet éditorial autour du dessin contemporain.
Sophie Toulouse : À cette époque, je faisais du dessin commercial depuis une dizaine d’années et j’étais arrivée à saturation : j’avais besoin de renouveler mon regard sur le dessin. J’ai alors lancé l’idée de The Drawer.
B.S. : Nous voulions créer un rendez-vous semestriel pour les amateurs de dessin contemporain, qu’ils soient galeristes, artistes ou collectionneurs. Nous nous s’apprêtons aujourd’hui à publier le 16e numéro et nous sommes heureuses d’être parvenues à respecter cette périodicité-là. Ça a permis de donner du poids à The Drawer.
S.T. : Nous voulions aussi que la revue soit une source d’inspiration pour les créatifs et qu’elle suscite chez eux l’envie de faire travailler les artistes.
B.S. : Absolument, qu’elle constitue une nourriture visuelle, hors des registres habituels « photo » ou « illustration ». Nous voulions décloisonner le dessin, le sortir de son « ghetto » et ouvrir nos pages à d’autres choses, à la peinture par exemple.
S.T. : Par ailleurs, nous avions pris le parti d’une maquette simple, intemporelle. La revue, je crois, ne se démode pas.
C.V. : Selon quels principes est construite la revue ?
B.S. : The Drawer est construite selon un principe simple : nous choisissons à chaque numéro un thème – « Le rire », « Parade », ou « Amour » pour la première série, et désormais, pour la seconde série inaugurée à la 15e livraison, une couleur – puis nous invitons des artistes à participer.
S.T. : Le thème fonctionne comme un fil rouge mais nous ne demandons pas aux dessinateurs de l’illustrer. Surtout pas. Les dessins doivent avoir leur propre autonomie. En revanche, libre à eux, bien sûr, de proposer des œuvres préexistantes ou, à l’inverse, spécialement réalisées pour l’occasion. Autre principe de la revue : ne jamais publier deux fois le même artiste.
C.V. : Comment sélectionnez-vous les artistes ?
B.S. : Concrètement, nous réfléchissons en fonction du thème défini. Chacune de nous prépare sa liste et fait ses propositions à l’autre. Nous essayons de travailler sans œillères, les yeux grands ouverts. Nous collaborons avec des plasticiens mais aussi avec des gens venus d’autres milieux, comme des musiciens, des designers, des architectes.
S.T. : Nous avons une sensibilité très similaire donc nous suggérons souvent les mêmes noms : la sélection finale est assez facile à établir !
B.S. : Au cours de cette phase, nous cherchons à doser les jeunes et les moins jeunes, les connus et les méconnus, les branchés et les pas branchés, les dessinateurs purs et les artistes pour qui le dessin ne représente qu’une pratique marginale. Jusqu’à parvenir à un ensemble juste, harmonieux. Puis nous envoyons les invitations !
C.V. : Qu’est-ce qu’un bon dessin, selon The Drawer ?
B.S. : C’est une œuvre équilibrée, qui ne se discute pas. C’est une œuvre qui est dotée d’une présence puissante, forte. Avec une forme de maturité.
S.T. : Oui, c’est exactement ça ! [Rires]
C.V. : The Drawer, c’est aussi de l’édition de livres et du commissariat.
S.T. : Oui, nous avons d’ores et déjà publié deux livres, Alexandre & Florentine Lamarche-Ovize : Inventaire [en 2017] et Gil Lesage : Désordre [en 2018].
B.S. : Il y a quelques années, nous disposions d’un lieu dans lequel nous avons fait une dizaine d’accrochages et nous souhaitons poursuivre cela. Pour nous, le commissariat se situe dans le prolongement de notre activité éditoriale car la revue fonctionne, à certains égards, comme une exposition sur papier.
En 2016, la galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois nous avait demandé de concevoir un premier projet, Heroes, en lien direct avec le 10e numéro de la revue. Nous avons renouvelé la collaboration cette année, avec une exposition intitulée Ladies Only [jusqu’au 12 avril 2019], contrepoids à l’autre manifestation du moment chez Vallois, consacrée à Jacques Villeglé et à ses lacérations d’affiches publicitaires pour le minitel rose. Nous avons donc choisi des artistes femmes que nous avions publiées dans The Drawer : Bianca Argimon, Lauren Coullard, Lucie Picandet et Vivian Greven. Le commissariat devient dès lors un moyen intéressant et agréable de continuer à travailler avec des gens que nous apprécions.
C.V. : Pour finir, auriez-vous un dessinateur à recommander à OSP ?
S.T. : Je pense à Sherman Sam [né en 1966]. Un travail très lent – un dessin l’occupe pendant plusieurs années –, très poétique. C’est le dessin comme compagnon de route. Une manière de noter sa vie.
B.S. : Clive Hodgson [né en 1953], un artiste abstrait, qui joue avec les aplats de couleurs, les lignes et les formes ; curieusement, chaque dessin porte l’année de sa réalisation, en grand. Par ailleurs, ses œuvres sont sans âge et sans sexe, c’est très troublant.
Propos recueillis le 25 février 2019 à Paris.
www.thedrawer.net
(En ouverture : couverture par Alexandre Benjamin Navet, The Drawer, n° 16, 2019)
Pour citer cet article :
Camille Viéville, « Entretien avec Barbara Soyer et Sophie Toulouse, fondatrice de The Drawer », camille-vieville.com, mis en ligne le 26 mars 2019, consulté le [date de consultation]
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